Mieux travailler

Depuis plusieurs décennies, notre société produit en quantité amplement suffisante pour que tout le monde puisse vivre décemment en France. En 2021, 56 % du revenu national disponible suffisaient en effet à satisfaire les besoins de l’ensemble de la population française1. Cela signifie que nous pourrions significativement réduire sans dommage notre production. Cette production est par ailleurs de plus en plus automatisée2, et l’émergence de l’intelligence artificielle amplifie ce mouvement dans tous les secteurs d’activité. Dans le même temps, le chômage s’élève à 7,5 % au premier trimestre 20243.

On constate aussi une perte de sens au travail : 54 % des actifs considèrent le travail comme une contrainte plutôt qu’un épanouissement et 29 % ne perçoivent pas le sens et l’utilité de leur emploi4. Il est donc temps de décentrer la valeur travail et de partager celui-ci afin d’accompagner ces changements sociétaux.

Nous proposons ainsi de porter la durée légale de travail à 25 heures par semaine5, soit une diminution de près de 30 %, à salaire horaire inchangé6. Cette mesure s’inscrit dans la diminution progressive du temps de travail engagée au cours de l’histoire : 84 heures par semaine en 1848, puis 48 heures en 1919, 40 en 1936, 39 en 1982 et enfin 35 en 19987.

Elle s’inscrit aussi dans une libération du temps pour soi et ses proches, pour la santé et le bien-être de chacun, et également pour l’environnement8. Mais décentrer si fortement le travail requiert de trouver d’autres moyens de faire lien au sein de la société, c’est pourquoi cette mesure doit être assortie de 5 heures hebdomadaires dédiées à des activités d’utilité publique (associations, hôpitaux, écoles, exploitations agricoles…) à choisir librement. Cela permet tout à la fois de valoriser officiellement ces activités principalement non marchandes qui sont une part essentielle de notre économie, de recréer le lien social distendu par les divisions du pays, et de réduire les entre-soi9.

Ces activités peuvent en outre redonner un sentiment d’utilité sociale qui semble manquer de plus en plus dans le travail marchand.

54 % des actifs considèrent le travail comme une contrainte plutôt qu’un épanouissement et 29 % ne perçoivent pas le sens et l’utilité de leur emploi

Projet Sens, France Info, 2023

Si l’objectif est clair, diminuer le temps de travail, il faut en même temps veiller à garantir une juste répartition économique pour l’ensemble de la population, car les inégalités se creusent de manière inacceptable en France. Une personne sur sept vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté10, et les 10 % les plus riches ont un niveau de vie moyen sept fois plus important que les 10 % les plus pauvres11.

C’est pourquoi les 5 heures hebdomadaires d’activités non marchandes justifient une indemnité citoyenne contribuant à la réduction de ces inégalités. Celle-ci est calculée sur la base de 10 heures par semaine du salaire horaire médian12, soit environ 580 € net mensuels actuellement, afin de compenser la perte de salaire liée à la diminution de 10 heures du temps de travail rémunéré. Cette indemnité versée à tous, et calculée par rapport à la médiane, augmente ainsi les revenus des 50 % les plus pauvres et diminue ceux des 50 % les plus riches, ce qui permet de réduire les inégalités salariales en convergeant vers le revenu médian. Les femmes étant davantage exposées au travail partiel et à des salaires inférieurs, cette réduction du temps de travail et des écarts de revenus diminue dans le même temps les inégalités femmes-hommes. Cette indemnité constitue également un premier rempart contre la pauvreté qui sera complété par d’autres mesures concernant la consommation.


  1. Pierre Concialdi, EJSS 2018, et note 427 de Ralentir ou périr (Timothée Parrique, Seuil, 2022). ↩︎
  2. Voir par exemple IFR pour le nombre de robots dans l’industrie. ↩︎
  3. Source : INSEE, 17/05/2024. ↩︎
  4. Source : projet Sens, France Info, 22/06/2023. ↩︎
  5. Des systèmes dérogatoires seront envisagés pour les secteurs sous tension comme les hôpitaux par exemple. Par ailleurs, pour les cadres pourrait être mis en place un mécanisme similaire à celui des jours de RTT introduit lors du passage aux 35 heures. ↩︎
  6. Cette diminution ne pèse donc pas sur les comptes des entreprises puisqu’elle ne se fait pas à salaire constant pour l’employé qui voit son salaire multiplié par 25/35 (car le salaire horaire reste le même), soit une baisse de 29 %. C’est pourquoi il faut un mécanisme public pour compenser la baisse de salaire individuelle, comme expliqué ci-dessous. En revanche, cela permet à l’entreprise, de manière presque transparente, d’embaucher un quatrième employé pour trois employés existants. ↩︎
  7. Source : IHSA. ↩︎
  8. Lire par exemple Travailler moins pour polluer moins, Le Monde diplomatique, juin 2021. Voir aussi Travailler moins pour vivre mieux. Guide pour une philosophie antiproductiviste (Céline Marty, Dunod, 2021). ↩︎
  9. C’est cet objectif de cohésion sociale et de réduction des entre-soi qui incite à rendre ces 5 heures hebdomadaires obligatoires pour tous, sinon les plus fortunés seraient très tentés de s’en soustraire puisqu’ils pourraient se permettre de ne pas toucher les 10 heures de gratification payées au salaire médian que nous proposons ci-dessous. ↩︎
  10. Source : INSEE, 2022. ↩︎
  11. Source : INSEE, 2022. ↩︎
  12. Il s’agit du salaire en deçà duquel se situent 50 % de la population. Il s’élève à 2040 € net par mois en 2021 (source INSEE, environ la même valeur que le revenu médian disponible par unité de consommation, source INSEE), soit environ 580 € par mois pour 10 heures hebdomadaires. ↩︎

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