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  • Démocratisation

    Que ce soient les 5 heures d’intérêt général, la baisse de la consommation, ou la relocalisation, tout converge dans notre projet vers un rapprochement des citoyens entre eux et vers un recentrage des décisions à un niveau plus proche du peuple. Pour parachever ce mouvement et remettre les citoyens définitivement au cœur de la société, il convient évidemment de leur redonner aussi le pouvoir politique. Si l’incarnation même de ce pouvoir se situe bien sûr au sommet de l’État et dans ses ramifications officielles (régions, départements, villes…), ce ne sont pas les seuls échelons à considérer : c’est également un enjeu primordial au sein des entreprises où s’exerce le pouvoir du capital, comme nous le verrons.

    LES INSTITUTIONS POLITIQUES

    Commençons par le plus visible, les institutions de la Cinquième République.

    Notre parlement souffre à la fois d’un problème de représentativité et de lisibilité. Représentativité quand l’Assemblée nationale de 2022 ne compte que 37 % de femmes, 6 % d’ouvriers et d’employés (contre 45 % dans la population active), mais 70 % de cadres et professions intellectuelles supérieures (contre 22 % dans la population active)1, ou quand la moyenne d’âge au Sénat est de 60 ans2. Lisibilité par le mode de scrutin, notamment pour le Sénat élu au suffrage universel indirect3.

    Pour ces deux raisons, et afin de donner plus de pouvoir direct aux citoyens, nous proposons de choisir les sénateurs au hasard parmi toute la population majeure pour former un échantillon représentatif des citoyens français, en termes de genre, d’âge et de catégorie socio-professionnelle notamment. Contrairement au Sénat actuel, cette assemblée citoyenne sera réellement complémentaire de l’Assemblée nationale élue, plus représentative, insensible aux échéances électorales et donc capable d’agir pour le long terme, moins sensible aux logiques de partis.

    Ces citoyens auront signé une déclaration publique d’intérêts et tout lobbyisme sera proscrit. Après avoir suivi une formation générale et à l’image de la Convention citoyenne pour le climat, les citoyens de cette assemblée, pour prendre des décisions éclairées, pourront auditionner des experts ayant eux aussi signé une charte de déontologie garantissant leur impartialité et l’absence de conflits d’intérêts. Le mécanisme de navette entre l’Assemblée nationale et le nouveau Sénat, ainsi que l’éventuelle commission mixte paritaire4, resteraient inchangés.

    De même, nous pensons qu’il faudrait multiplier et renforcer les conseils citoyens et les initiatives citoyennes au niveau local, à l’image des conseils de quartiers (CCSPL)5 et des budgets participatifs pratiqués dans de nombreuses villes6.

    Cette transition vers un pouvoir politique accru des citoyens implique que ceux-ci soient informés de la manière la plus impartiale possible, ce qui est totalement incompatible avec la possession des plus grands médias par quelques milliardaires ou multinationales7 qui les orientent selon leurs intérêts propres. Nous jugeons qu’il est donc urgent d’imposer à chaque média d’être la propriété exclusive de ses employés (journalistes et autres). De même, certains types de publicité ne sont acceptables ni pour l’indépendance des médias, ni pour la société dans son ensemble, ce qui rend nécessaire une interdiction pure et simple des publicités pour les produits néfastes pour la santé et l’environnement, notamment.

    Quid des entreprises ?

    Bien que le suffrage censitaire, dans lequel la voix des plus fortunés compte davantage8, ait heureusement disparu depuis longtemps en politique et soit devenu totalement inacceptable aujourd’hui, celui-ci est pourtant la norme dans un domaine central de notre vie économique : l’entreprise. En effet, les droits de vote dans les conseils d’administration sont proportionnels au capital détenu. C’est ce pouvoir de l’argent qui permet aux actionnaires d’exiger un rendement exagérément élevé pour leur investissement, via des dividendes ou des rachats d’actions, souvent au détriment de la santé de l’entreprise, du moins de sa vision à long terme. De plus, dans ce processus, les employés, pourtant principaux producteurs de richesse, sont généralement absents des décisions.

    D’autres modèles doivent venir remplacer cette ploutocratie9 obsolète. Les sociétés coopératives et participatives (SCOP)10, dans lesquelles la majorité des droits de votes et du capital appartiennent aux salariés, sont à cet égard un exemple très pertinent. Ce modèle pourrait être généralisé à toutes les entreprises, en modulant selon la taille de l’entreprise la part des droits de vote et de détention du capital allouée aux salariés (afin que le fondateur d’une toute petite entreprise puisse rester majoritaire, par exemple), comme le propose Thomas Piketty notamment11. Outre son avantage de rééquilibrer potentiellement la parité au sein des conseils d’administration, ce changement nous semble primordial afin que le pouvoir de l’argent ne supplante plus celui des citoyens. En particulier, l’intérêt des actionnaires-salariés serait enfin en phase avec la santé et l’avenir de l’entreprise, et tout enrichissement à court terme, au détriment du collectif, fortement découragé.


    1. Source : Observatoire des inégalités, 2022. ↩︎
    2. Source : Sénat, 2023. ↩︎
    3. Les sénateurs sont élus pour un mandat de 6 ans par les « grands électeurs », essentiellement (à 95 %) des délégués des conseils municipaux. Source : Sénat. ↩︎
    4. Voir Vie publique. ↩︎
    5. Voir Vie publique. ↩︎
    6. Source : LBP. Voir aussi les autres initiatives proposées dans Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, Yves Sintomer, La Découverte, 2011. ↩︎
    7. Voir par exemple cette image du Monde diplomatique, 2023. ↩︎
    8. … ou même parfois eux seuls ont le droit de voter (source Vie publique). ↩︎
    9. Système où le pouvoir est exercé par les plus riches. ↩︎
    10. Voir par exemple Service public. ↩︎
    11. Une brève histoire de l’égalité, Thomas Piketty, Seuil, 2021. ↩︎
  • Monnaie & résilience

    Le revenu compensatoire de la PPRS ajouté à l’indemnité citoyenne constitue un revenu citoyen partiel formant pour chacun un socle permettant d’accéder à une vie décente (dans les hypothèses retenues, nous parlons d’un montant mensuel net de 1 100 € à 1 600 € par adulte, selon la composition du ménage, fortement grevé toutefois par une taxation beaucoup plus importante de la consommation). Si ce revenu de base permet de sortir chacun de la pauvreté, il garantit également une capacité de résistance et de rebond au niveau individuel.

    D’aucuns pensent qu’un revenu universel est trop onéreux, promeut l’assistanat et accentue les inégalités femmes-hommes en légitimant des temps partiels subis. Certaines de ces critiques pourraient être fondées si cette mesure était isolée dans le système actuel ; or le schéma global que nous proposons permet d’éviter ces écueils en préservant les bénéfices d’un revenu universel.

    Pas d’assistanat en effet ici, puisque notre revenu citoyen partiel est versé en compensation d’activités d’intérêt général d’une part, et d’une forte hausse de la fiscalité sur la consommation d’autre part.

    De plus, les inégalités femmes-hommes ont tendance à baisser dans notre système grâce à une convergence des salaires et à une baisse du temps de travail, comme nous l’avons vu dans les articles précédents.

    Enfin, la critique sur le coût démesuré d’un revenu universel ne tient pas : en effet, la moitié, à savoir le montant compensatoire de la PPRS, est plus que financé par la hausse de la fiscalité sur la surconsommation ; et par ailleurs ce revenu citoyen partiel est versé en monnaie locale fondante, ce qui permet de ne provisionner en euros qu’une partie des montants en jeu1.

    Locale signifie que cette monnaie n’a cours qu’au sein d’un territoire délimité, ici chaque région française : la monnaie locale d’une région ne peut être utilisée que dans cette région, et pas dans une autre. Lorsque environ 45 % des revenus nationaux2 sont versés dans une telle monnaie plutôt qu’en euros, cela signifie qu’environ 45 % de la consommation de la région doit être produite sur ce territoire, localement, puisque cet argent ne peut être utilisé ailleurs.

    Le but est de relocaliser une grande partie de l’activité économique au sein de chaque région, d’une part pour recréer du lien social (en cohérence avec nos réflexions sur le travail), et d’autre part pour augmenter la capacité de résistance aux chocs de l’économie nationale. En effet, cela revient à produire à nouveau localement ce qui l’était à l’autre bout de la planète ou du pays, impliquant des redondances entre régions qui permettent de pallier les ruptures d’approvisionnement ou autres aléas qui augmenteront inévitablement avec les contraintes climatiques et géopolitiques. Cette redondance, au léger détriment de l’efficacité économique, nous paraît essentielle pour la résilience du pays, notamment face au changement climatique3.

    En outre, cette relocalisation permet de sortir du cercle vicieux du dumping social et environnemental qui engendre tout à la fois le problème (une précarité croissante) et la prétendue solution (le maintien du pouvoir d’achat par la baisse des prix grâce à la production à l’étranger). Enfin, elle relocalise également les dommages environnementaux de la production, ce qui permet de reprendre conscience que celle-ci n’est jamais virtuelle et ainsi de pouvoir agir sur ses effets néfastes.

    Fondante signifie que cette monnaie perd de sa valeur au cours du temps. Par exemple, avec un taux de fonte de 1 % par mois, 1 000 unités monétaires ne valent plus que 990 le mois suivant, 980,1  le mois d’après, etc., et 886,4 au bout d’un an.

    Cela a plusieurs avantages. Une telle monnaie ne peut se thésauriser puisqu’elle perd de sa valeur, sortant ainsi de la logique d’accumulation si dommageable pour la planète et les inégalités. En outre, les utilisateurs sont incités à dépenser cet argent plus rapidement pour éviter la perte de valeur mensuelle, ce qui a pour effet de redynamiser l’économie locale (dans les services notamment — puisque la consommation de biens est davantage taxée — ce qui permet à nouveau l’augmentation des liens sociaux). Enfin, les deux critères de localité et de fonte se combinent pour sortir toute cette partie de l’économie de la logique capitaliste mondiale de croissance, incompatible avec les objectifs sociaux et de préservation de l’environnement que nous nous sommes fixés.

    De même, nous rendons au public une bonne partie de la capacité de création monétaire actuellement assurée par les banques privées qui orientent ainsi l’économie selon des intérêts à nouveau souvent incompatibles avec nos objectifs.

    Cette nouvelle orientation de l’économie issue de la société civile ne sera toutefois pas suffisante pour réaliser complètement la bifurcation nécessaire pour faire face aux défis environnementaux. Il s’agit donc de l’accompagner d’une planification écologique à la manière par exemple de ce que proposent Cédric Durand et Razmig Keucheyan4 (éventuellement couplée aux idées de monnaie volontaire européenne de Jézabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron, permettant de financer les projets écologiques indispensables mais non rentables5). De manière simplifiée et schématique, le nécessaire remplacement des activités les plus polluantes sur le territoire, avec tout ce que cela implique (réorganisation de filières entières, limitation de la production, formation massive à de nouveaux métiers, etc.) ne peut se faire qu’en suivant un plan national élaboré démocratiquement et soumis à expérimentations, évaluations et modifications régulières. Entre autres solutions, le financement de ce plan pourrait s’effectuer par des prêts nationaux fléchés et soumis à évaluation, par exemple.

    De même, des négociations de branches incluant tous les acteurs d’une filière (par exemple, une filière agricole particulière avec les agriculteurs mais aussi les semenciers et la distribution, ou une filière de rénovation bâtimentaire dans son entièreté, etc.), encadrées par des objectifs nationaux précis mais laissant les solutions à l’initiative des acteurs eux-mêmes, seront sans aucun doute nécessaires, comme le suggèrent David Djaïz et Xavier Desjardins6. Ces auteurs préconisent également des coopérations ou « contrats » horizontaux entre les protagonistes d’un même territoire, selon leurs atouts, afin de réaliser au mieux la bifurcation écologique.


    1. Essentiellement pour financer une chambre de compensation permettant aux professionnels de pouvoir échanger la monnaie locale par des euros au-delà d’un certain pourcentage de leurs recettes, voir l’article « Monnaie locale fondante ». ↩︎
    2. Le calcul de ces 45 % des revenus disponibles des ménages est expliqué à l’article « Monnaie locale fondante ». La question se pose de savoir s’il faut atteindre ce niveau de monnaie locale progressivement. ↩︎
    3. Lire par exemple Pénuries, quand tout vient à manquer, Renaud Duterme, Payot, 2024. ↩︎
    4. Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique, Cédric Durand et Razmig Keucheyan, La Découverte, 2024. ↩︎
    5. Le pouvoir de la monnaie. Transformons la monnaie pour transformer la société, Jézabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron, Les Liens qui libèrent, 2024. ↩︎
    6. La Révolution obligée, David Djaïz et Xavier Desjardins, Allary Éditions, 2024. ↩︎
  • Mieux consommer

    La réduction de l’activité marchande engendrée par la baisse du temps de travail que nous préconisons implique une baisse de la production et donc de la consommation. Cela est indispensable pour préserver l’environnement et les ressources disponibles. De plus, la hausse du temps libre et associatif, par les liens sociaux qu’elle recrée et le bien-être qu’elle procure, autorise plus aisément une baisse de la consommation qui a ainsi perdu sa dimension compulsive. Il s’agit d’un autre pilier de notre projet : accompagner de manière juste cette baisse de la consommation.

    Un Français moyen a une empreinte carbone d’environ 10 t CO2-eq1 par an2. Ces émissions de gaz à effet de serre (GES) sont un reflet de sa consommation moyenne. Les consensus mondiaux et la Stratégie nationale bas carbone imposent de diviser celles-ci par 5 d’ici 2050 pour une trajectoire soutenable. Cette trajectoire semble inaccessible sans réduire la consommation globale. De même, du côté des ressources (empreinte écologique), il faudrait l’équivalent de 2,9 planètes pour subvenir aux besoins des humains si tous adoptaient le mode de vie français actuel3. Cela montre à nouveau à quel point la consommation présente n’est pas durable et dans quelles proportions elle doit être réduite.

    Aussi, pour favoriser une production plus vertueuse et promouvoir une consommation à la fois plus sobre et plus juste, il apparaît nécessaire de créer une participation progressive et redistributive sur la surconsommation (PPRS) venant remplacer, de manière plus équitable, la TVA sur les biens de consommation.

    La TVA actuelle représente 16 % des prélèvements obligatoires1 (contre seulement 7 % pour l’impôt sur le revenu). Or c’est une forme d’impôt régressif : les 10 % des personnes les plus modestes consacrent 12 % de leur revenu disponible à cette taxe, contre seulement 5 % pour les 10 % les plus aisées. Au contraire, la PPRS est progressive, donc plus égalitaire, selon les modalités ci-dessous.

    Premièrement, le taux de cette participation est modulé selon des critères sociaux et environnementaux, évalués à la manière des Nutri-Score et Éco-score par exemple, et prenant également en compte la distance parcourue par les produits venant de l’étranger. Cela permet d’orienter la production et la consommation vers les produits les plus vertueux et locaux.

    Deuxièmement, la PPRS s’applique à tous les acteurs économiques, y compris les professionnels. Chaque intermédiaire payant la PPRS sur ses achats, le prix d’un article augmente ainsi au fil des intermédiaires puisque la PPRS est due tout au long du cycle de transformation d’un même produit. Ce mécanisme favorise donc les circuits courts ou, lorsque cela n’est pas possible, l’achat de matières premières plus vertueuses (qui bénéficient d’un taux plus faible de PPRS)2.

    Troisièmement, l’échelle des taux de la PPRS est calculée pour que la taxation finale dans le prix de vente au consommateur (après l’ensemble des intermédiaires, donc) varie très fortement, par exemple entre 0 et 200 %, avec une moyenne volontairement haute (par exemple 100 %, voir les détails ici), cela afin de réduire la consommation globale.

    Enfin, cette taxation plus élevée est contrebalancée par un revenu compensatoire (par exemple 750 € par mois3) afin de ne pas pénaliser les ménages modestes. Grâce à ce montant, tout se passe comme si la taxation était fortement progressive en fonction de la dépense, faisant de la PPRS un impôt plus juste.

    Ce montant est calculé de sorte que seules les dépenses de biens de consommation au-delà du niveau médian actuel (environ 1 200 € par mois selon nos estimations) soient plus taxées.

    Les ménages les plus riches sont ainsi davantage mis à contribution, d’une part car l’effort demandé est plus facilement à leur portée, et d’autre part car ils consomment plus.

    La surconsommation est en effet très inégalement répartie, comme en témoignent les émissions actuelles de GES, variant de 4,7 t CO2-eq par an et par personne pour les 10 % des ménages les plus pauvres, à 18,4 t pour les 10 % les plus riches4.

    Un Français moyen a une empreinte carbone d’environ 10 t CO2-eq par an.

    INSEE

    Outre la réorientation de la consommation vers une meilleure qualité environnementale et sociale, on peut s’attendre grâce à cette mesure à une baisse de la consommation globale de l’ordre de 20 %.


    1. Source : INSEE. ↩︎
    2. Une exonération devra néanmoins être accordée aux professionnels exportant vers l’étranger, qui seraient sinon injustement pénalisés. Inversement, les importations seront taxées en accord avec les règles intérieures afin de ne pas créer de concurrence déloyale. ↩︎
    3. Nous raisonnons ici par « unité de consommation », voir les détails ici. ↩︎
    4. Source : Climat en schémas. ↩︎
  • Mieux travailler

    Depuis plusieurs décennies, notre société produit en quantité amplement suffisante pour que tout le monde puisse vivre décemment en France. En 2021, 56 % du revenu national disponible suffisaient en effet à satisfaire les besoins de l’ensemble de la population française1. Cela signifie que nous pourrions significativement réduire sans dommage notre production. Cette production est par ailleurs de plus en plus automatisée2, et l’émergence de l’intelligence artificielle amplifie ce mouvement dans tous les secteurs d’activité. Dans le même temps, le chômage s’élève à 7,5 % au premier trimestre 20243.

    On constate aussi une perte de sens au travail : 54 % des actifs considèrent le travail comme une contrainte plutôt qu’un épanouissement et 29 % ne perçoivent pas le sens et l’utilité de leur emploi4. Il est donc temps de décentrer la valeur travail et de partager celui-ci afin d’accompagner ces changements sociétaux.

    Nous proposons ainsi de porter la durée légale de travail à 25 heures par semaine5, soit une diminution de près de 30 %, à salaire horaire inchangé6. Cette mesure s’inscrit dans la diminution progressive du temps de travail engagée au cours de l’histoire : 84 heures par semaine en 1848, puis 48 heures en 1919, 40 en 1936, 39 en 1982 et enfin 35 en 19987.

    Elle s’inscrit aussi dans une libération du temps pour soi et ses proches, pour la santé et le bien-être de chacun, et également pour l’environnement8. Mais décentrer si fortement le travail requiert de trouver d’autres moyens de faire lien au sein de la société, c’est pourquoi cette mesure doit être assortie de 5 heures hebdomadaires dédiées à des activités d’utilité publique (associations, hôpitaux, écoles, exploitations agricoles…) à choisir librement. Cela permet tout à la fois de valoriser officiellement ces activités principalement non marchandes qui sont une part essentielle de notre économie, de recréer le lien social distendu par les divisions du pays, et de réduire les entre-soi9.

    Ces activités peuvent en outre redonner un sentiment d’utilité sociale qui semble manquer de plus en plus dans le travail marchand.

    54 % des actifs considèrent le travail comme une contrainte plutôt qu’un épanouissement et 29 % ne perçoivent pas le sens et l’utilité de leur emploi

    Projet Sens, France Info, 2023

    Si l’objectif est clair, diminuer le temps de travail, il faut en même temps veiller à garantir une juste répartition économique pour l’ensemble de la population, car les inégalités se creusent de manière inacceptable en France. Une personne sur sept vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté10, et les 10 % les plus riches ont un niveau de vie moyen sept fois plus important que les 10 % les plus pauvres11.

    C’est pourquoi les 5 heures hebdomadaires d’activités non marchandes justifient une indemnité citoyenne contribuant à la réduction de ces inégalités. Celle-ci est calculée sur la base de 10 heures par semaine du salaire horaire médian12, soit environ 580 € net mensuels actuellement, afin de compenser la perte de salaire liée à la diminution de 10 heures du temps de travail rémunéré. Cette indemnité versée à tous, et calculée par rapport à la médiane, augmente ainsi les revenus des 50 % les plus pauvres et diminue ceux des 50 % les plus riches, ce qui permet de réduire les inégalités salariales en convergeant vers le revenu médian. Les femmes étant davantage exposées au travail partiel et à des salaires inférieurs, cette réduction du temps de travail et des écarts de revenus diminue dans le même temps les inégalités femmes-hommes. Cette indemnité constitue également un premier rempart contre la pauvreté qui sera complété par d’autres mesures concernant la consommation.


    1. Pierre Concialdi, EJSS 2018, et note 427 de Ralentir ou périr (Timothée Parrique, Seuil, 2022). ↩︎
    2. Voir par exemple IFR pour le nombre de robots dans l’industrie. ↩︎
    3. Source : INSEE, 17/05/2024. ↩︎
    4. Source : projet Sens, France Info, 22/06/2023. ↩︎
    5. Des systèmes dérogatoires seront envisagés pour les secteurs sous tension comme les hôpitaux par exemple. Par ailleurs, pour les cadres pourrait être mis en place un mécanisme similaire à celui des jours de RTT introduit lors du passage aux 35 heures. ↩︎
    6. Cette diminution ne pèse donc pas sur les comptes des entreprises puisqu’elle ne se fait pas à salaire constant pour l’employé qui voit son salaire multiplié par 25/35 (car le salaire horaire reste le même), soit une baisse de 29 %. C’est pourquoi il faut un mécanisme public pour compenser la baisse de salaire individuelle, comme expliqué ci-dessous. En revanche, cela permet à l’entreprise, de manière presque transparente, d’embaucher un quatrième employé pour trois employés existants. ↩︎
    7. Source : IHSA. ↩︎
    8. Lire par exemple Travailler moins pour polluer moins, Le Monde diplomatique, juin 2021. Voir aussi Travailler moins pour vivre mieux. Guide pour une philosophie antiproductiviste (Céline Marty, Dunod, 2021). ↩︎
    9. C’est cet objectif de cohésion sociale et de réduction des entre-soi qui incite à rendre ces 5 heures hebdomadaires obligatoires pour tous, sinon les plus fortunés seraient très tentés de s’en soustraire puisqu’ils pourraient se permettre de ne pas toucher les 10 heures de gratification payées au salaire médian que nous proposons ci-dessous. ↩︎
    10. Source : INSEE, 2022. ↩︎
    11. Source : INSEE, 2022. ↩︎
    12. Il s’agit du salaire en deçà duquel se situent 50 % de la population. Il s’élève à 2040 € net par mois en 2021 (source INSEE, environ la même valeur que le revenu médian disponible par unité de consommation, source INSEE), soit environ 580 € par mois pour 10 heures hebdomadaires. ↩︎