En prenant en compte le fait que l’indemnité citoyenne et le montant compensatoire de la PPRS sont versés en monnaie locale (avec nécessité de financer une caisse de compensation), nous estimons à 125milliards d’euros les recettes fiscales nettes annuelles supplémentaires par rapport à la situation actuelle. Ces recettes permettent de financer le sursaut nécessaire dans l’éducation et les « autres lignes d’action » (dont l’agriculture, l’alimentation et la santé) qui sont essentielles en particulier pour l’environnement, pour l’adaptation au changement climatique, et pour la cohésion de la société.
Le système agricole et agroalimentaire productiviste représente le quart de l’empreinte carbone des Français1 et 14 % de la pollution de l’air2. Il participe fortement au déclin de la biodiversité3 (-80 % d’insectes en 20 ans4 et -73 % de la taille moyenne des populations d’animaux sauvages entre 1970 et 20205). Les agriculteurs sont aussi confrontés, sans être préparés ni accompagnés, aux effets du changement climatique : sécheresse, pluie, gel… Les coûts sanitaires associés à l’alimentation seule s’élèveront à environ 50 milliards d’euros par an en 2030 selon la FAO6. Malgré un volume horaire moyen de travail de 55 h par semaine7, 16 % des agriculteurs se situent sous le seuil de pauvreté monétaire, une proportion plus élevée que la moyenne nationale (14 %)8. Le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 40 % entre 2000 et 20209. Il ne s’agit là que d’un aperçu des problèmes que doivent affronter le monde agricole et la société.
Ce système obsolète, issu du remembrement10 et de la révolution agricole qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, n’est pas soutenable et doit être changé en profondeur.
Nos propositions
De nombreuses études11 montrent qu’il est aujourd’hui possible de produire et se nourrir de façon durable tout en renforçant notre souveraineté alimentaire. Elles adoptent toutes les grands principes suivants :
évolution du régime alimentaire avec moins de protéines animales et plus de protéines végétales, lutte contre la surconsommation et le gaspillage ;
évolution des systèmes et des pratiques agricoles (rotation, diversification et association des cultures, marginalisation de l’agriculture conventionnelle, augmentation des protéagineux au détriment des céréales…), généralisation de l’agro-écologie, réduction des cheptels pour s’adapter à la baisse de consommation de viande et de lait (et permettant une diminution de nos importations de soja) ;
préservation des sols, augmentation des surfaces forestières et des haies, maintien des prairies naturelles permanentes.
Scénario TYFA (Ten Years For Agroecology), 2018.
Ces scénarios aboutissent essentiellement à :
réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture ;
réduire de moitié les prélèvements d’eau pour l’irrigation des cultures d’été et, avec des productions plus diversifiées, réduire notre vulnérabilité au changement climatique ;
réduire de moitié la consommation d’énergie et mobiliser la biomasse agricole et forestière dans le respect du bon fonctionnement des écosystèmes ;
diviser par 3 les traitements phytosanitaires sur les cultures et par 2,5 la consommation d’azote minéral (engrais chimiques).
Les solutions sont donc connues. Reste leur mise en œuvre, qui soulève de fortes résistances.
Comment y parvenir
Il faut des mesures fortes pour faire évoluer ce pan essentiel de notre société en dépit des résistances et du lobbying s’exerçant jusqu’aux plus hautes sphères décisionnelles.
Le premier volet concerne la réorganisation de l’agriculture sur le territoire.
L’institution de monnaies locales régionales incite à une relocalisation des productions au sein des différents territoires et à une répartition plus homogène en France. Les grandes exploitations perdent ainsi une partie de leur intérêt, diminuant leur impact sur l’environnement et renforçant la diversité des cultures. Cette réorganisation renforce également la résilience du système dans son ensemble, adaptation indispensable au changement climatique notamment.
Une taxation plus élevée de la viande dans la PPRS représente une incitation à moins consommer de viande, pour la santé et l’environnement, conformément aux scénarios évoqués ci-dessus.
La mutation de notre système agricole serait injuste pour nos agriculteurs tant qu’existent des accords de libre-échange avec des pays ne respectant pas les mêmes normes de production. L’abrogation de ces traités est indispensable pour envisager transformer notre filière agricole. De même, une révision complète de la Politique agricole commune (PAC) est nécessaire afin de changer le mode de fonctionnement priorisant les grandes surfaces agricoles plutôt que la qualité environnementale des parcelles. Cette révision ne pourra se faire sans l’appui des grands contributeurs européens, ce qui promet des négociations difficiles.
Le second volet concerne l’accompagnement des agriculteurs.
Une part de l’inertie du système est due à l’endettement massif des agriculteurs12, ainsi forcés de persévérer dans une agriculture de plus en plus intensive. Afin de sortir de cette spirale socialement et environnementalement mortifère, une des seules solutions semble être de racheter les emprunts des agriculteurs, en contrepartie d’une transition certifiée vers l’agro-écologie. Ces sommes remboursées aux banques devront elles aussi servir à financer des projets certifiés vertueux écologiquement et socialement. Nous parlons ici d’environ 45 milliards d’euros au total. Si la moitié des agriculteurs endettés font cette démarche en trois ans, le financement public nécessaire s’élève à 7,5 milliards d’euros par an sur trois ans.
Cette transition d’ampleur vers l’agro-écologie nécessite l’organisation d’un partage de bonnes pratiques au niveau local, d’un tutorat entre agriculteurs, et d’une formation continue gratuite ouverte à tout le secteur agricole. Ces mesures représentent quelques dizaines de millions d’euros par an.
Le revenu universel procuré par l’indemnité citoyenne (580 €/mois/personne) et la PPRS (750 €/mois/UC) garantit un salaire minimal à tout agriculteur, lui permettant de vivre décemment en sortant de la logique productiviste à outrance.
Si l’on privilégie les petites exploitations et la relocalisation sur tout le territoire, le nombre d’agriculteurs doit augmenter, ce qui nécessite une énorme vague de recrutement car environ la moitié d’entre eux partiront à la retraite dans la décennie qui vient13. Pour cela, il faut des aides à l’installation pour les jeunes et les nouveaux agriculteurs : achat et location de terres14, aides financières, etc. Si l’objectif est d’attirer 100 000 nouveaux agriculteurs par an avec des aides individuelles de 10 000 € par exemple, le coût de cette mesure s’élève à 1 milliard d’euros par an.
Ces aides à l’installation s’accompagneraient d’emplois aidés, éventuellement mutualisés entre plusieurs exploitations, par exemple en allégeant les cotisations sociales. Si l’on compte un emploi aidé à hauteur de 10 000 € pour deux exploitations, c’est un coût d’environ 2 milliards d’euros par an15. Par ailleurs, les 5 heures d’activités d’utilité publique effectuées par d’autres personnes dans les exploitations agricoles peuvent elles aussi venir soulager un peu le rythme de travail des agriculteurs.
Un autre poste coûteux et chronophage pour les agriculteurs est le matériel (achat et entretien des tracteurs et autres engins agricoles notamment), dont la possession obligatoire et le financement contraint à entrer dans une logique de croissance incompatible avec les aléas des récoltes et la transition vers une agriculture plus respectueuse. L’organisation de regroupements et partages de matériel commun au sein de collectivités d’agriculteurs pourrait ainsi être un levier de rationalisation, de solidarité et d’économies.
Le coût total élevé de ces mesures, d’environ 11 milliards d’euros par an les trois premières années (puis 3 milliards d’euros ensuite), ce qui représente davantage que les aides de la PAC par exemple (9 milliards d’euros par an16), se justifie par l’ampleur des enjeux liés à l’agriculture (santé et environnement notamment), d’une part, et par la nécessaire revalorisation d’une profession qui est la plus essentielle de toutes (littéralement vitale pour tous), d’autre part. Néanmoins, ces coûts n’en sont pas réellement, en regard des bénéfices attendus pour l’environnement et la santé. L’étude de la FAO17, mentionnée ci-dessus, chiffre à environ 2 €/jour en 2030 les économies réalisées en matière de santé pour chaque personne adoptant un régime flexitarien (moins de viande et de meilleure qualité).
Coûts sanitaires mondiaux dus aux régimes alimentaires (standard, flexitarien, piscivore, végétarien et végan).
Si le quart des Français, aidés en cela par la taxation différenciée de la PPRS, effectuent ce changement en cinq ans, cela représente à terme (au bout de 5 ans) 13 milliards d’euros d’économies chaque année. Ces seuls bénéfices sont donc déjà supérieurs aux coûts, sans parler de l’amélioration des conditions de travail et de santé des agriculteurs et des bienfaits pour l’environnement.
Secteur de l’alimentation compris. Source : ADEME. ↩︎
La France compte environ 340 000 ménages agricoles (c’est-à-dire comprenant au moins un agriculteur-exploitant, source INSEE, 2018), dont près de 70 % sont endettés d’une moyenne de 187 000 € (chiffres 2018, source INSEE), pour un endettement total de l’ordre de 45 milliards d’euros. ↩︎
Une Europe agroécologique : une option souhaitable et crédible face aux enjeux alimentaires et environnementaux (scénario TYFA), Xavier Poux et Pierre-Marie Aubert, IDDRI, 2018
Pour une alimentation saine et durable. Analyse des politiques de l’alimentation en France, Julien Fosse, Peggy Furic, Cyril Gomel, Marie Hagenburg et Julien Rousselon, France Stratégie, 2021
Plutôt nourrir. L’appel d’une éleveuse, Clément Osé et Noémie Calais, Tana éditions, 2022
L’Injuste Prix de notre alimentation, quels coûts pour la société et la planète ?Caritas et al., 2024
Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère, The shift project, 2024
Transformations de l’agriculture et des consommations alimentaires, INSEE et SSP, 2024
Champs de bataille. L’Histoire enfouie du remembrement, Inès Léraud et Pierre Van Hove, Delcourt, 2024
Bifurcation écologique et sociale
Écologica, André Gorz, Galilée, 2008 (et plus généralement les diverses œuvres de Gorz ainsi que d’autres auteurs emblématiques comme Ivan Illich par exemple)
Sortir de la société de consommation, Serge Latouche, Les Liens qui libèrent, 2010
Ralentir ou périr, Timothée Parrique, Seuil, 2022
Bifurcations. Réinventer la société industrielle par l’écologie ? Pierre Veltz, Éditions de l’aube, 2022
Comment bifurquer. Les Principes de la planification écologique, Cédric Durand et Razmig Keucheyan, La Découverte, 2024
La Révolution obligée, David Djaïz et Xavier Desjardins, Allary Éditions, 2024
La France face au changement climatique : toutes les régions impactées, Réseau action climat, 2024
Démocratie
Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, Yves Sintomer, La Découverte, 2011
Les Assemblées citoyennes, une nouvelle forme de représentation démocratique ? Hélène Landemore et Jean-Michel Fourniau, Participations, 2022
Économie, capitalisme & finance
Traité d’économie hérétique. En finir avec le discours dominant, Thomas Porcher, Fayard, 2018
La Finance aux citoyens. Mettre la finance au service de l’intérêt général, Caritas, 2018
Pour une écologie du 99 %. 20 mythes à déboulonner sur le capitalisme, Frédéric Legault, Arnaud Theurillat-Cloutier et Alain Savard, Écosociété, 2021
Quels impôts les milliardaires paient-ils ? Laurent Bach, Antoine Bozio, Arthur Guillouzouic et Clément Malgouyres, IPP, 2023
Le Pouvoir de la monnaie. Transformons la monnaie pour transformer la société, Jézabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron, Les Liens qui libèrent, 2024
La Machine à détruire. Pourquoi il faut en finir avec la finance, Aline Farès, Seuil, 2024
Énergie & ressources
Le Droit du sol, Étienne Davodeau, Futuropolis, 2021
Nucléaire, stop ou encore ? Antoine de Ravignan, Les petits matins, 2022
Rétablir l’ISF dans son barème de 2017, avec limitation du plafonnement et suppression de certaines exonérations, rapporterait de l’ordre de 10 milliards d’euros par an1. Or le taux d’imposition maximal de l’ISF en 2017 était de 1,5 % seulement pour la tranche de patrimoine dépassant 10 millions d’euros. Le barème que nous proposons (15 % au-delà de 50 millions d’euros) est bien plus ambitieux. Compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel d’obliger à un plafonnement du prélèvement par rapport aux revenus2, nous pouvons raisonnablement envisager des recettes fiscales de l’ordre de 20 milliards d’euros, et bien davantage si ce plafonnement est supprimé.
Selon Gabriel Zucman3, supprimer les niches fiscales et l’« optimisation fiscale » des plus riches et des entreprises permettrait de récupérer 75 milliards d’euros de recettes fiscales par an. En admettant un rendement de 70 % seulement (difficulté de supprimer complètement l’optimisation fiscale ou de collecter l’impôt), on peut espérer de l’ordre de 50 milliards d’euros de recettes supplémentaires.
L’augmentation de l’impôt sur les successions, générant actuellement des recettes d’environ 17 milliards d’euros4, permettrait un doublement de ces recettes pour un gain supplémentaire d’environ 17 milliards d’euros donc.
Une taxe sur les transactions financières un peu plus ambitieuse que l’actuelle, étendue notamment aux transactions intrajournalières, pourrait rapporter de l’ordre de 3 milliards d’euros supplémentaires5.
Au total, les recettes supplémentaires s’élèvent donc à environ 90 milliards d’euros.
Le financement d’un héritage pour tous, à hauteur de 80 000 € par exemple versés à chacune des 460 000 personnes6 de 18 ans, coûterait environ 37 milliards d’euros.
Les recettes nettes à attendre de la fiscalité sur le patrimoine et le capital sont donc de l’ordre de 50 milliards d’euros.
Recettes totales d’environ 5 milliards d’euros, valeur obtenue par interpolation à partir des recettes actuelles de 2 milliards d’euros et de l’augmentation prévue grâce à l’élargissement de l’assiette, d’après The Conversation (31/05/2023). ↩︎
Environ, voir la pyramide des âges en France, INSEE. ↩︎
Verser l’indemnité citoyenne et le revenu compensatoire de la PPRS en monnaie locale permet de ne pas grever le budget de l’État, puisque l’on peut créer cette monnaie ex nihilo (c’est-à-dire « gratuitement », sans contrepartie). Il faut toutefois provisionner en euros une partie du montant versé pour la caisse de compensation qui permet aux professionnels accumulant trop de monnaie locale de l’échanger contre des euros.
Le fonctionnement
Plus précisément, l’indemnité citoyenne de 580 € et la PPRS de 750 € représentent une grande part de la monnaie en circulation et le risque est que les professionnels (commerçants par exemple) soient payés principalement en monnaie locale au détriment de l’euro (ce qui signifierait qu’ils seraient lésés puisqu’ils ne pourraient dépenser leurs bénéfices que localement et ne pourraient pas épargner).
En effet, les 414 milliards d’euros annuels d’indemnité citoyenne répartis parmi 46 millions d’UC1 représentent en moyenne 750 €/UC mensuels, à ajouter à la PPRS de 750 € également pour un total moyen de 1 500 €/UC versé en monnaie locale.
De l’autre côté, les 25 millions d’équivalent2 temps-plein à un salaire moyen3 de 2590 €/mois versé en euros, qui rapportent 777 milliards d’euros actuellement, seront amputés de 10/35 de leur valeur par la réduction du temps de travail.
En prenant en compte la hausse du nombre d’emplois de 1,6 million comme vu à l’article « Indemnité citoyenne », cela représente une baisse de l’ordre de 186 milliards d’euros, soit 337 €/UC/mois. Avec en 2021 un revenu moyen mensuel de 2 200 €/UC4, la part du revenu mensuel par UC versée en euros est donc d’environ 1 863 €, et celle en monnaie locale de 1 500 comme nous l’avons vu, soit 44,6 % du total d’environ 3 360 €/UC/mois.
La question se pose de savoir si les régions sont capables de produire suffisamment de biens (et services) localement pour assumer cette part de monnaie locale, ou s’il faut plutôt aller progressivement jusqu’à un tel montant.
Quid de la caisse de compensation
Il reste maintenant à estimer les sommes en jeu pour la caisse de compensation.
Le principe est le suivant : si une entreprise est payée à plus de (disons) 40 % en monnaie locale, il faut pouvoir lui échanger par des euros les unités de monnaie locale qui dépassent ce seuil.
Ainsi, la caisse de compensation doit par exemple être capable de verser, en échange d’un montant équivalent de monnaie locale, 40 000 € à un commerçant dont le chiffre d’affaire est de 100 000 € et qui aurait reçu 80 % de celui-ci en monnaie locale. Le choix du seuil de 40 % se fait notamment selon les considérations suivantes et peut éventuellement varier en fonction de la situation de l’entreprise, du secteur d’activité ou pour d’autres raisons :
les salaires (un cinquième du chiffre d’affaire en moyenne)5 restent payés en euros bien sûr ;
le reste, soit 80 % (essentiellement les consommations intermédiaires pour environ 70 % du chiffre d’affaire en moyenne6, et l’excédent brut d’exploitation), peut être payé jusqu’à la moitié en monnaie locale comme c’est le cas des ménages (49 % des dépenses en monnaie locale, cf. ci-dessous). Régler ses consommations intermédiaires en monnaie locale encourage ainsi l’entreprise à s’approvisionner auprès d’entreprises locales. Au total, on arrive donc à 40 % maximum du chiffre d’affaire versé en monnaie locale.
Pour que chaque entreprise soit incitée à faire vivre l’économie locale, et afin de réduire la provision de la caisse de compensation7, on instaure également un mécanisme symétrique : si une entreprise est payée à plus de (disons) 75 % en euros, elle doit échanger par de la monnaie locale les euros qui dépassent ce seuil. Ainsi, après compensation, le chiffre d’affaire de chaque entreprise est composé de 25 % à 40 % de monnaie locale.
L’immense majorité du revenu moyen d’un ménage, 91 %8 environ, est dépensé en consommation. Nous supposerons que cette proportion reste sensiblement équivalente lorsque le revenu mensuel moyen par UC passe à 3 360 € (cf. ci-dessus), en prenant en compte la baisse des revenus du travail et les 1 500 € de revenu citoyen partiel. Ainsi, une UC dépenserait mensuellement 3 060 € TTC, et puisque la monnaie locale est fondante, on peut imaginer que celle-ci sera systématiquement dépensée en premier par les consommateurs. Cela correspond donc à 1 500 € de monnaie locale dépensée (49 %) et 1 560 € dépensés en euros.
Selon ces hypothèses, en prenant une taxe de PPRS moyenne à 100 %, la consommation hors taxe totale des ménages s’élève à environ 845 milliards d’euros par an, dont 414 payés en monnaie locale. Pour cette consommation, la compensation maximale possible est atteinte lorsqu’une proportion p de ces 845 milliards d’euros (chiffre d’affaire global de toutes les entreprises vendant à des particuliers) est versé à 25 % en monnaie locale (ces entreprises n’ont rien à verser ni à recevoir), et la proportion restante (1–p) est à 100 % de monnaie locale (qu’il faut donc compenser à hauteur de 60 %). On a alors 0,25p + (1-p) = 0,49 (proportion totale de monnaie locale dans les dépenses des ménages), soit p = 0,68, et dans ce cas, il faut provisionner 0,6*(1- p)*845 = 162 milliards d’euros.
Reste le cas des entreprises dont les revenus proviennent d’autres entreprises, pour environ 3 280 milliards d’euros9, dont il convient de retirer les entreprises exportatrices évidemment payées en euros (pour environ 936 milliards d’euros10). Entre 25 et 40 % de leur chiffre d’affaire restant (2 344 milliards d’euros) est payé en monnaie locale. Toujours dans le cas le plus défavorable, 68 % des entreprises ci-dessus (dont les revenus proviennent des particuliers) ont 25 % de leur chiffre d’affaire en monnaie locale, soit une proportion de 31 % si l’on exclut les salaires. Elles paient donc leurs consommations intermédiaire à 31 % en monnaie locale, ce qui ne nécessite aucune compensation. De même au deuxième tour, la proportion de monnaie locale s’élève à 39 % et ne nécessite pas de compensation, pour un total de 0,68*845*(0,7 + 0,7*0,7) = 684 milliards d’euros11. Il reste donc 1 660 milliards d’euros toujours payés à 40 % en monnaie locale. En excluant les salaires (sur les 80 % restants, donc), chaque entreprise paie ses consommations intermédiaires à 50 % en monnaie locale. Il faut donc 10 % de compensation, pour un montant d’environ 166 milliards d’euros.
Au total, la compensation maximale est d’environ 328 milliards d’euros. Cette compensation maximale n’étant probablement pas atteinte, on pourra supposer que 300 milliards d’euros de provision suffisent.
Au bilan
Il reste à comprendre les recettes générées par la PPRS12, puisqu’une partie de celles-ci est versée en monnaie locale. En première approximation, nous considérerons que les revenus correspondent à 51 % des recettes estimées à l’article sur la « PPRS » , soit 380 milliards d’euros, puisque 51 % des dépenses de consommation restent effectuées en euros comme nous l’avons vu. Du côté des dépenses, seule la caisse de compensation doit être provisionnée puisque le montant compensatoire de la PPRS et l’indemnité citoyenne sont tous deux versés en monnaie locale. Nous avons donc 300 milliards d’euros de dépenses, face à 200 milliards d’euros de baisse d’aides sociales (voir l’article sur l’« Indemnité citoyenne ») et 380 milliards d’euros de taxe sur la surconsommation, soit 280 milliards d’euros de recettes nettes. Cela représente 75 milliards d’euros de plus que l’actuelle TVA (voir l’article sur la « PPRS »).
Incidence sur la consommation
On pourrait s’étonner de ce qu’utiliser des monnaies locales plutôt que l’euro réduise les coûts de ces mesures, ou s’inquiéter de ce que la quantité de nouvelle monnaie mise en circulation puisse provoquer une forte inflation. Cette monnaie locale créée ex-nihilo et qui ne rapporte rien (pas de rentrées fiscales) peut en réalité simplement être vue comme une autre façon de redistribuer, la consommation excessive étant taxée au profit d’une consommation de qualité : il ne s’agit que d’un transfert de richesse qui n’est pas censé provoquer d’inflation incontrôlée. Par ailleurs, la hausse des prix est déjà intégrée au dispositif de la PPRS, et même supérieure à l’effet naturel auquel on pourrait s’attendre avec cette injection de nouvelle monnaie puisque, comme vu à l’article sur la « PPRS », l’impact devrait être dissuasif pour la consommation.
Pour uniformiser les calculs, nous raisonnerons par unité de consommation. ↩︎
Dans ce but, on peut également imaginer autoriser chaque entreprise à n’accepter que, disons, 80 % de monnaie locale au maximum dans chaque paiement, réduisant ainsi les besoins de compensation (mais restreignant aussi la portée du revenu citoyen partiel versé en monnaie locale). ↩︎
Cf. INSEE par rapport aux 2 200 €/UC de revenu mensuel moyen en 2021 vu à l’article sur la « PPRS ». ↩︎
Calcul : les consommations intermédiaires, pour 70 % de leur CA (total 845 milliards d’euros), des 68 % d’entreprises payées par les particuliers à 25 % en monnaie locale (0,68*845*0,7), et les consommations intermédiaires (à nouveau 70 % de leur CA) des entreprises fournissant ces premières consommations intermédiaires et payées à 31 % en monnaie locale (0,68*845*0,7*0,7). ↩︎
Taxer en moyenne à 100 %, comme suggéré avec le présent dispositif de PPRS, plutôt qu’à 20 % avec la TVA actuelle, correspond à une hausse moyenne des prix de 67 % environ. ↩︎
La participation progressive et redistributive sur la surconsommation (PPRS) remplacerait l’actuelle TVA.
L’ambition
Cette mesure poursuit trois objectifs, la réduction des inégalités économiques, la réduction de la surconsommation et l’amélioration de la qualité de la consommation.
Deux voies sont empruntées simultanément par ce dispositif pour espérer réussir à limiter suffisamment les dommages environnementaux et sociaux de la consommation.
Réduire la consommation globale : Les ménages les plus riches sont plus à même de réduire leur consommation, d’une part car l’effort demandé est plus facilement à leur portée, et d’autre part car ils consomment davantage. En adoptant une taxe progressive, l’effet est plus fort sur les ménages les plus aisés.
Mieux consommer : réduire l’intensité carbone des produits consommés, leur impact social et la quantité de ressources nécessaire à leur fabrication. Cela est atteint en faisant varier le taux de la taxe selon la « qualité » (sociale et environnementale) du produit.
Le fonctionnement
L’idée est d’augmenter significativement le taux de taxation et de compenser cette hausse par un montant mensuel alloué à tous de manière identique. Les paramètres choisis ci-dessous peuvent être ajustés pour plus ou moins de redistribution, plus ou moins de consommation, et également pour que la mesure soit autofinancée.
Trois mécanismes entrent en jeu pour la définir :
Une note est attribuée à chaque produit selon son impact environnemental et social, sa localité, sa qualité nutritionnelle, etc. Cela permettra de moduler la taxe selon la qualité du produit. Le taux de PPRS serait alors d’autant plus élevé que la note est faible, s’échelonnant par exemple selon le type de produit de 0 à 100 %.
La PPRS est due par tous les intermédiaires, renchérissant ainsi le prix final d’un produit passé par un nombre élevé d’intermédiaires : les circuits courts et locaux sont donc favorisés. Le taux de PPRS est calculé pour que la taxation finale soit en moyenne de 100 %.
Afin de compenser cette hausse de taxation moyenne1 serait versé à tous un montant compensatoire de 750 € par unité de consommation2.
L’un des objectifs de cette mesure est de réduire la consommation globale. L’effet de l’augmentation des prix sur la consommation dépend de l’élasticité-prix des biens consommés, mais celle-ci est presque toujours négative, ce qui signifie qu’une hausse des prix réduit la consommation.
Par souci d’équité entre les ménages, il semble plus pertinent de verser le montant compensatoire par unité de consommation3 (UC) plutôt que par personne. Au sein d’un ménage, le premier adulte compte pour une UC, chaque personne supplémentaire de 14 ans et plus compte pour une demi-UC, et chaque enfant de moins de 14 ans pour 0,3 UC. Cette échelle permet de prendre en compte la mutualisation des coûts au sein du ménage, ce qui fait par exemple qu’un couple ne dépense pas deux fois plus qu’une personne seule. L’INSEE ne fait pas de distinction parmi les enfants de moins de 14 ans, alors qu’il nous semble que les coûts pour les enfants de moins de 3 ans sont plus importants (garde d’enfants…), et nous compterons donc 0,5 UC par enfant de moins de 3 ans. Il y a un peu plus de 45 millions d’UC en France selon l’INSEE4, auxquelles il faut ajouter dans notre cas 0,2 UC par enfant de moins de 3 ans, c’est-à-dire 405 000 UC5, pour un total d’environ 46 millions.
D’après l’INSEE6, une UC en France consomme en moyenne par mois environ 1 350 € HT de biens (hors loyer et services, donc). Avec un taux moyen de taxation à 100 %, les recettes annuelles au niveau actuel de consommation s’élèveraient ainsi à 745 milliards d’euros. Le versement du montant compensatoire représente environ 414 milliards d’euros, ce qui signifie des recettes nettes d’environ 331 milliards d’euros, largement supérieures à l’actuelle TVA. Les recettes nettes resteraient supérieures à l’actuelle TVA7 jusqu’à une baisse d’environ 17 % de la consommation. Si la consommation décroît encore, on peut laisser les recettes fiscales décroître ou au contraire choisir de diminuer le montant compensatoire.
Concrètement, on peut visualiser l’effet de ce dispositif en traçant les taux effectifs de taxation en fonction de la dépense dans les deux situations : TVA actuelle (en orange, taux fixe à 20 %) ou PPRS (en bleu)8. On visualise bien l’effet progressif de la PPRS.
Les deux courbes se croisent à une dépense de 1 125 € TTC/mois, ce qui est proche de la consommation médiane hors loyer pour une UC : sans changer sa façon de consommer, environ la moitié de la population est donc avantagée par la mesure, c’est-à-dire qu’elle peut acheter des biens de meilleure qualité (ou davantage de biens) pour la même dépense TTC (grâce au montant compensatoire), ou économiser davantage pour une même quantité de biens achetés. L’autre moitié de la population est incitée à consommer moins car le niveau de taxation effectif des dépenses additionnelles (c’est-à-dire les dépenses engagées au-delà du montant compensatoire) augmente progressivement, pour atteindre par exemple 60 % pour 3 000 € TTC par mois par UC (l’équivalent d’une dépense mensuelle de 4 725 € TTC dans le système actuel de TVA pour une famille de deux adultes et deux enfants).
Quelques exemples
Voici trois exemples illustratifs afin de mieux comprendre le mécanisme. À nouveau, pour simplifier, la variation de la taxe en fonction de l’impact social et environnemental du produit n’est pas prise en compte et il est ici supposé que les ménages achètent des produits taxés à 100 % en moyenne.
EXEMPLE 1 Un premier ménage est composé d’un parent et de deux enfants de moins de 14 ans, soit 1,6 UC, et son revenu disponible est de 1 760 €/mois (soit 1 100 €/UC, ce ménage est parmi les 20 % les plus pauvres). Il dépense 500 € de loyer et consomme en moyenne 1 200 € TTC par mois, il achète donc actuellement pour 1 000 € HT de biens (avec une TVA à 20 %). Avec la PPRS, il toucherait 1,6 x 750 = 1 200 € de montant compensatoire. Pour acheter 1 000 € HT de biens, soit 2 000 € TTC avec la taxe à 100 %, il lui faudrait ajouter 800 €, soit 400 de moins que dans la situation actuelle. En d’autres termes, tout se passe comme si ce ménage avait une TVA négative (–20 %). Il pourrait ainsi économiser davantage, orienter ses achats vers des produits de meilleure qualité (aidé en cela et incité également par la modulation de la taxe selon la qualité des produits), ou encore acheter 200 € HT de biens supplémentaires en dépensant la même somme qu’au départ.
EXEMPLE 2 Un deuxième ménage est composé de deux parents et un enfant de 15 ans, soit 2 UC, et son revenu disponible est de 5 000 €/mois (soit 2 500 €/UC, ce ménage est parmi les 30 % les plus riches). Il dépense 1 500 € de loyer et consomme en moyenne 2 250 € TTC par mois, il achète donc actuellement pour 1 875 € HT de biens (avec une TVA à 20 %). Avec la PPRS, il toucherait 2 x 750 = 1 500 € de montant compensatoire. Pour acheter 1 875 € HT de biens, soit 3 750 € TTC avec la taxe à 100 %, il lui faudrait ajouter 2 250 €, soit exactement comme la situation actuelle. En d’autres termes, rien ne change pour ce ménage, il est toujours taxé à 20 % sur sa consommation.
EXEMPLE 3 Un troisième ménage est composé de deux adultes sans enfant, soit 1,5 UC, et son revenu disponible est de 6 000 €/mois (soit 4 000 €/UC, ce ménage est parmi les 10 % les plus riches). Il dépense 1500 € de loyer et consomme en moyenne 3 000 € TTC par mois, il achète donc actuellement pour 2 500 € HT de biens (avec une TVA à 20 %). Avec la PPRS, il toucherait 1,5 x 750 = 1 125 € de montant compensatoire. Pour acheter 2 500 € HT de biens, soit 5 000 € TTC avec la taxe à 100 %, il lui faudrait ajouter 3 875 €, soit 875 € de plus que dans la situation actuelle (29 % d’augmentation). En d’autres termes, tout se passe comme si ce ménage était taxé avec une TVA à 55 %. Ou alors il devrait acheter 437 € HT de biens en moins pour dépenser la même somme qu’au départ (soit une réduction de consommation de 17 %).
Dans tous les cas, pour le consommateur le mécanisme est plus avantageux que la TVA actuelle pour toutes les dépenses jusqu’à 1 125 €/mois par UC :
c’est-à-dire environ 1 700 € (hors loyer) pour un couple (1,5 UC)
et 2 360 € pour une famille de deux parents et deux enfants (2,1 UC).
Au-delà, le taux effectif de taxation devient de plus en plus dissuasif ; néanmoins, le taux élevé de taxation a déjà tendance à réduire la consommation, quels que soient les montants dépensés.
Incidence sur la consommation
Nous pouvons à présent estimer l’impact de cette mesure sur la réduction de la consommation. Les estimations qui suivent sont extrêmement grossières et mériteraient une étude beaucoup plus fine, mais elles donnent déjà un ordre de grandeur.
En prenant une valeur d’élasticité-prix9 de –0,3, une hausse de prix de 10 % résulte en une baisse de la demande de 3 %. En première approximation, la hausse des prix moyenne avec la PPRS étant de 67 % (passage d’une taxe de 20 % à une taxe de 100 % en moyenne), on peut ainsi anticiper une baisse de la consommation de 20 % environ.
On peut tenter l’estimation par un autre angle pour obtenir une estimation similaire : si chacun dépense la même somme qu’auparavant, les plus riches achèteront moins de biens et les plus pauvres en achèteront davantage, mais cela résultera en une baisse de 17 % de la consommation car les paramètres ont été choisis ainsi : l’argent total dépensé sert en effet à une redistribution interne (transparente dans les volumes totaux), et à des recettes fiscales équivalentes à celles de la TVA actuelle lorsque la baisse de la consommation atteint 17 %.
La variation de la taxe en fonction de la qualité sociale et environnementale des produits permet quant à elle de réorienter les achats vers les produits les plus vertueux.
Avec un nouveau taux moyen de 100 % contre 20 % actuellement, la hausse du prix TTC des produits moyennement vertueux serait de 67 %. ↩︎
Lire la suite pour la définition des unités de consommation et l’intérêt qu’elles représentent. ↩︎
Environ 205 milliards d’euros pour la TVA, 30 milliards d’euros pour la TICPE, 156 milliards d’euros pour CRDS+CSG, 97 milliards d’euros pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques, et 67 milliards d’euros pour l’impôt sur les sociétés. Source : INSEE. ↩︎
Par souci de simplification, la variation de la taxe en fonction de l’impact social et environnemental du produit n’est pas prise en compte ici et il est supposé que les ménages achètent des produits taxés à 100 % en moyenne. ↩︎
La valeur de l’élasticité-prix est choisie d’après les valeurs standard (mais est très sujette à caution puisque les prix de tous types de produits augmentent). ↩︎
Contrairement à la PPRS, l’indemnité citoyenne est versée par personne et non par « unité de consommation », car elle est censée principalement compenser la baisse de revenu individuel provenant de la diminution du temps de travail. Néanmoins, elle se veut aussi la base d’un revenu citoyen partiel, venant remplacer une partie des aides sociales, et est à ce titre versée à tous les adultes, actifs ou non, sans condition, et également aux enfants, pour un montant moindre, afin d’aider les familles.
Le fonctionnement
En suivant peu ou prou la définition des unités de consommations, nous proposons les montants mensuels suivants :
50 % du montant de base, soit 290 €, pour un enfant de moins de trois ans ou entre 14 et 17 ans ;
30 % du montant de base, soit 174 €, pour un enfant de 3 à 13 ans,
et le montant de base complet, soit 580 €, à partir de 18 ans.
D’après la pyramide des âges française1, le versement total de l’indemnité citoyenne représente ainsi environ 414 milliards d’euros par an.
De ce montant, il faut retrancher les versements remplacés par l’indemnité citoyenne : une partie des aides sociales, des pensions de retraite et des indemnités chômage si celui-ci diminue.
Il y a 18 millions de retraités en France2. Les 580 premiers euros de chaque pension sont remplacés par l’indemnité citoyenne. En 2016, 83 % des pensions sont supérieures à 580 € mensuels3, les 17 % restants étant répartis à peu près uniformément entre 100 € et 580 €. En tenant compte de la hausse des pensions depuis 2016 et de ces 17 % où seule une partie des 580 € est concernée, nous estimons que l’indemnité citoyenne vient remplacer, à hauteur de 580 € par personne, les versements de pension d’environ 90 % des retraités, soit environ 113 milliards d’euros annuels.
Concernant le chômage, nous supposerons que seules un sixième4 des heures libérées permettent de créer de nouveaux emplois. Il y a 27 millions de personnes en emploi, dont 17 % à temps partiel5 : 10 heures hebdomadaires sont libérées pour les 22,4 millions de personnes à temps complet, et disons 5 heures en moyenne pour les autres 4,6 millions de personnes, soit 247 millions d’heures hebdomadaires, dont seules le sixième sont converties en nouveaux emplois. Cela correspond à environ 1,6 million de nouveaux emplois à 25 heures par semaine (à comparer aux 2,3 millions de chômeurs actuels). Ainsi, les dépenses annuelles pour le chômage diminueraient d’environ 70 % par rapport à leur niveau actuel de 40 milliards d’euros, une économie de 28 milliards.
Enfin, 3,3 millions d’allocataires des minimas sociaux ont moins de 64 ans et touchent plus que les 580 € de l’indemnité citoyenne : remplacer la partie correspondante permet d’économiser 23 milliards d’euros. On peut également estimer que la majeure partie des 43 milliards d’euros de l’indemnité citoyenne versée pour les enfants viendra en déduction des 130 milliards d’euros d’aides à la famille actuelles (allocations familiales, aides à la garde d’enfants, quotient familial, etc.), disons à hauteur de 36 milliards d’euros.
Au total, il faut donc retrancher 200 milliards d’euros à notre estimation brute de 414 milliards d’euros, soit une dépense nette d’environ 214 milliards d’euros par an.
Source : INSEE. Nous comptons ici toute personne majeure comme bénéficiaire à plein de l’indemnité citoyenne (alors que près de 5 millions d’adultes habitent chez leurs parents, source : Fondation Abbé Pierre). ↩︎
Ce que nous proposons est un vaste changement de paradigme, accompagnant ou autorisant une modification profonde de la façon dont les gens appréhendent la société, la vie ensemble, l’économie. Il n’en reste pas moins qu’une telle mutation doit aller de concert avec des politiques plus conventionnelles et une planification sur des sujets plus ciblés, comme l’énergie, l’agriculture, les transports, etc. Nous brossons ici quelques actions qui nous semblent indispensables sur plusieurs thèmes importants, en particulier concernant l’environnement. Ces actions ne sont qu’esquissées et demandent à être détaillées.
Agriculture, alimentation, santé : ce volet essentiel est traité plus en profondeur ici.
Transport : le transport routier représente à lui seul près du tiers de toutes les émissions territoriales de gaz à effet de serre1. Il est essentiel de réduire drastiquement l’utilisation des véhicules particuliers2, sans pour autant pénaliser les ménages plus modestes ou dépendant de la voiture, en imaginant d’autres mobilités, en renforçant le maillage territorial de transport public, et surtout enrepensant l’aménagement du territoire (la relocalisation régionale que nous prônons devrait y aider)3. Par ailleurs, il n’est pas concevable de continuer à subventionner le secteur aérien4 tant celui-ci est inégalitaire et polluant au regard du faible nombre de passagers transportés : il faut au contraire chercher à le réduire fortement.
Énergie : l’électrification des usages est en route et ne semble pas prête de s’arrêter. Malgré l’effort considérable et indispensable qui doit être réalisé sur la performance et la sobriété5 (rénovation énergétique, réduction des usages, etc.), la consommation d’électricité restera élevée. Les déchets6 et les risques de la filière nucléaire7, son coût8, ses délais de construction9 ainsi que la perte de savoir-faire national10 semblent rendre la construction de nouvelles centrales inadaptée aux objectifs climatiques11. Le déploiement des énergies renouvelables apparaît ainsi plus pertinent, combiné à une forte sobriété permettant de limiter les ressources utilisées.
Adaptation au changement climatique : quelles que soient les mesures prises et les scénarios envisagés, le changement climatique, d’ores et déjà présent, va s’accentuer. Il est donc nécessaire que les villes s’adaptent afin de fournir une qualité de vie décente à leur population : rénovation thermique des bâtiments, suppression des îlots de chaleur, végétalisation, mixité des usages, agriculture urbaine, lutte contre les exclusions et la pauvreté, etc.
Services publics : accessibles uniformément par toute la population, ils renforcent l’égalité sociale et permettent de sortir une partie de l’économie de la logique marchande. Or la politique de privatisation ou de coupe budgétaire des dernières décennies a dégradé leur qualité et leur accessibilité12 (distance, coût, etc.). Se pose également la question de l’attractivité de certains territoires, désertés notamment par les professions médicales. Face à ces constats, nous jugeons nécessaire d’améliorer la qualité des services publics, leur répartition territoriale et leur densité.
Immigration et sécurité : le renforcement des liens sociaux induit par nos différentes mesures devrait permettre d’améliorer la cohésion et l’insertion des minorités, et de considérer à nouveau l’immigration comme une richesse13.
Production et publicité : nous avons jusque-là axé quelques-unes de nos mesures sur l’amélioration (et la réduction) de la consommation. Cependant, dans le capitalisme moderne c’est souvent la production qui oriente la consommation, car il s’agit pour les entreprises de croître, c’est-à-dire de produire et vendre toujours plus. Cette logique devrait être largement atténuée si les entreprises appartiennent à leurs employés (cette mesure est décrite à la section sur la démocratisation). Mais pour plus d’efficacité, il paraît essentiel d’initier une réflexion de fond sur le marketing et la publicité qui sont les vecteurs permettant cette fuite en avant commerciale.
Culture : plus de temps à soi signifie également plus de temps pour la culture et le sport, secteurs qu’il convient donc d’accompagner pour une meilleure égalité d’accès. Pour la culture en ligne, on pourra réfléchir à une forme de « mécénat global14 » qui a l’avantage de rémunérer justement les artistes sans nuire à la diversité ni à la libre diffusion.
Indicateurs : une partie de la situation actuelle est due à la recherche de la croissance économique à tout prix, mesurée à l’aune du PIB. Cette boussole nous emmène ainsi dans la mauvaise direction et il faut donc impérativement prendre en compte d’autres indicateurs : mesure des inégalités, du bonheur, qualité de l’environnement, de l’éducation, la santé, etc.
Y compris les véhicules électriques qui, en l’état actuel de la technologie et au rythme de production nécessaire pour la demande actuelle de véhicules, ne sont pas soutenables pour les ressources. ↩︎
Le livre de Ludovic Bu, Tout-voiture. On arrête tout et on réfléchit (Rue de l’Échiquier, 2024) offre une réflexion précieuse à ce sujet. ↩︎
Lire par exemple ce rapport de la Fnaut sur les subventions au secteur aérien, 2019. ↩︎
On pourra à ce sujet lire par exemple le scénario et les mesures de l’association Négawatt (2022). ↩︎
Lire par exemple Le Droit du sol, Étienne Davodeau, Futuropolis, 2021. ↩︎
Est-il nécessaire d’évoquer Three Mile Island, Tchernobyl ou Fukushima ? ↩︎
Selectra (2018) estime à environ 90 €/MWh le coût de l’électricité qui sera produite par l’EPR de Flamanville, et probablement davantage à cause de l’explosion des coûts de construction (19 milliards d’euros selon la Cour des comptes, au lieu des 3,4 milliards d’euros prévus initialement), contre de l’ordre de 60 €/MWh pour le solaire et l’éolien (Ademe, 2020). ↩︎
18 ans de travaux pour l’EPR de Flamanville (12 ans de retard). Ce délai est incompatible avec l’urgence climatique. ↩︎
Les principaux éléments du débat sont bien décrits dans le livre Nucléaire, stop ou encore ? d’Antoine de Ravignan (Les petits matins, 2022). ↩︎
Voir par exemple ce rapport du collectif Nos services publics. La suppression de services publics est vécue comme un déclassement de la part de la population (source : Le Monde, 18/06/2024). ↩︎
Lire à ce sujet l’excellent essai « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. » En finir avec une sentence de mort de Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens (Anamosa, 2022). ↩︎
Le concept est expliqué sur cette page Wikipédia. Contre une libre utilisation des œuvres en ligne (musique, films, etc.), chaque internaute s’acquitte d’un montant annuel fixe, qu’il choisit librement d’allouer aux mouvements artistiques qu’il souhaite soutenir. Les sommes non fléchées sont réparties équitablement entre tous les artistes pour soutenir la nouveauté. ↩︎
(Cette section ne propose que quelques pistes de réflexion qui devront être précisées et débattues.)
Notre constat
Notre projet social repose sur un dernier pilier essentiel, l’éducation, afin d’accompagner les changements profonds de la société. Les métiers vont inévitablement être transformés et redistribués par la nouvelle organisation proposée, ce qui nécessite de donner la possibilité à chacun de se former tout au long de sa vie. Parallèlement, étant donné que les citoyens auront une place plus importante dans cette nouvelle société, il apparaît primordial d’offrir à chacun une éducation de qualité et adaptée aux enjeux actuels.
Notre proposition
Cette place centrale donnée à l’éducation nécessite notamment de revaloriser les métiers d’enseignement, via leurs salaires bien sûr mais aussi leur image et leur condition d’exercice. Cela nous paraît très urgent lorsque l’on constate le plongeon des résultats des élèves français aux évaluations nationales1 et internationales2, et dans le même temps les difficultés du recrutement d’enseignants3 qui impliquent de revoir toujours à la baisse les seuils d’admission. Nous ne parlons pas ici seulement de l’enseignement général, mais aussi des enseignements technique et professionnel, concernés au premier chef eux aussi puisque les métiers essentiels4, parmi lesquels un certain nombre sont manuels, auront une place accrue dans le nouveau modèle de société. En effet, la réduction globale du temps de travail implique de recentrer en partie celui-ci sur les métiers essentiels, comme nous avons pu le constater lors des confinements par exemple. La nouvelle place centrale de ces métiers doit inévitablement s’accompagner, comme pour les enseignants, d’une revalorisation de leur image et de leurs salaires.
Nous pensons notamment aux agriculteurs, aux enseignants, au corps médical, aux éboueurs, aux transports publics, etc. Cette liste n’est pas exhaustive. ↩︎
(Sur ce sujet, nos réflexions sont encore embryonnaires et nous aimerions proposer des solutions plus innovantes pour éviter le recours systématique à la taxation.)
Notre constat
Le poids du capital dans la société ne se concentre pas seulement au sein des entreprises (voir notre article sur la démocratisation), mais il est également la source de la principale inégalité entre les ménages : le patrimoine. Les 10 % des ménages les plus dotés détiennent 47 % de tout le patrimoine national, et ont un patrimoine brut moyen 780 fois plus important que les 10 % les moins dotés1.
De telles inégalités sont intolérables moralement au sein d’une société, elles mettent en péril la cohésion sociale, et la majorité des études récentes montrent qu’elles ont plutôt un effet néfaste pour l’économie elle-même2.
Les salaires
Notre proposition
Un premier moyen de réduire ces inégalités est bien entendu de réduire les inégalités de revenu, puisqu’une partie du patrimoine provient de l’accumulation du revenu.
Comment y parvenir
L’aversion actuelle à l’impôt sur le revenu et l’optimisation fiscale des plus riches laissent penser que, plutôt que de créer une tranche supplémentaire « confiscatoire » d’impôt sur le revenu3 pour limiter les écarts de salaire, il est plus efficace et plus juste de fixer un salaire maximum, par exemple de l’ordre de 10 000 € net mensuels ou 160 000 € brut annuels4 (pour 25 heures hebdomadaires, rappelons-le), soit dix fois le salaire minimal (pour 25 heures également). Ce montant correspond à environ quatre fois le salaire moyen actuel en France et cinq fois le salaire médian, ce qui permet de vivre très confortablement5 tout en mettant fin aux salaires indécents de certains. On pourra rendre cette mesure plus efficace en imposant également un écart maximal au sein de chaque entreprise entre les salaires extrêmes, par exemple de 1 à 5. Ce mécanisme inciterait en effet les entreprises à augmenter les salaires les plus faibles afin de pouvoir atteindre le salaire maximal au sein des directions. Les fonds non utilisés pour payer les salaires qui dépassaient auparavant le seuil autorisé sont alors utilisés comme investissement dans l’entreprise, ou redistribués en salaires pour tous.
Le patrimoine
Notre proposition
Le salaire ne contribue qu’à une part des inégalités de patrimoine. Afin de les réduire efficacement, il faut taxer directement le patrimoine, comme cela a été fait avec l’ISF en France.
Comment y parvenir
Ce nouvel impôt sera progressif et prendra en compte l’ensemble du patrimoine (notamment financier) à l’exception de la résidence principale jusqu’à un certain seuil. Pour être efficace, la tranche supérieure doit être d’au moins 8 % selon les calculs d’OXFAM6 : nous pourrions par exemple passer progressivement de 1 % de taxe sur la part du patrimoine excédant 10 fois le patrimoine net médian (soit environ 1,2 million d’euros7) à 15 % pour celle le dépassant de 400 fois (soit environ 50 millions d’euros). À noter que Thomas Piketty par exemple propose des barèmes bien plus confiscatoires qui interdisent de fait de posséder plus d’un milliard d’euros environ8, c’est aussi une option envisageable. On pourrait également fixer un patrimoine maximal autorisé au même titre que le revenu maximal ci-dessus.
L’autre approche clé pour tenter de rétablir une certaine égalité de patrimoine concernel’héritage9, vecteur de reproduction voire d’amplification des inégalités10.
Les 10 % des ménages les mieux dotés détiennent 47 % de tout le patrimoine national.
INSEE, 2021
À cet égard, il paraît pertinent de taxer davantage l’héritage11 (à l’exception de la résidence principale jusqu’à un certain seuil), mais c’est un sujet extrêmement sensible dans l’imaginaire collectif12. L’approche de l’« héritage pour tous13 » prônée notamment par Thomas Piketty, bien qu’intéressante, nous semble propice à la création d’une bulle immobilière qui serait contraire à nos objectifs de réduction des inégalités. Il nous paraît judicieux de tenter plutôt d’imaginer un nouveau mécanisme permettant le transfert progressif des biens immobiliers des grands multipropriétaires vers les locataires, et de réserver un héritage pour tous à d’autres usages (enseignement supérieur et formation continue notamment). Celui-ci s’élèverait par exemple à 80 000 € touchés par tous à l’âge de 18 ans.
Les inégalités sont intimement liées à la finance permettant aux personnes les mieux dotées de faire fructifier leur patrimoine. Or les produits financiers de ces dernières décennies font peser des risques beaucoup trop importants sur la stabilité économique mondiale pour des bénéfices sociaux douteux, comme nous l’avons vu depuis 2008 par exemple. Il est par ailleurs intolérable que la logique qui prévaut soit de privatiser les profits et de socialiser les pertes, quand les banques doivent être sauvées par les contribuables alors qu’elles ont spéculé indûment.
Notre proposition
Trois axes nous semblent nécessaires pour limiter cette nuisance :
séparer strictement les activités de détail des activités spéculatives au sein des banques ;
arrêter la cotation continue sur les marchés financiers pour passer à une cotation journalière ou hebdomadaire, empêchant ainsi toute une part de spéculation à l’utilité très discutable ;
taxer toutes les transactions financières, de manière dégressive selon la durée de détention du produit financier. Les recettes de cette taxe pourront être attribuées à la lutte contre la pauvreté.
Bien d’autres mesures pourraient encore contribuer à assainir le monde financier, ce ne sont là que les prémices d’une réflexion qui demande à être approfondie14. Une réflexion de fond et sans tabou15 sur la dette, tant publique que privée, semble également nécessaire et urgente16, ainsi bien sûr que sur le libre-échange comme seul horizon économique (voir nos articles « Mieux consommer » et « Monnaie & résilience »).
Une estimation très grossière des recettes que l’on peut espérer tirer de la taxation du patrimoine et de la finance est donnée à l’article « Patrimoine & capital : chiffres » .
Source : INSEE, 2021. Concernant le patrimoine net, il est négatif pour les 10 % les moins dotés (ce qui signifie qu’ils sont endettés en moyenne)… ↩︎
Voir par exemple Ferreira, Gisselquist et Tarp (International Studies Review, 2022) pour un survol des études récentes, et également CEPALC (Nations unies, 2018). ↩︎
Soyons clairs, nous ne proposons évidemment pas de supprimer l’impôt sur le revenu, nous émettons simplement l’hypothèse qu’il n’est peut-être pas indispensable d’augmenter considérablement les taux d’imposition en vigueur actuellement, d’autant qu’une partie de la fiscalité est reportée sur la consommation grâce à la PPRS. Cela dit, une refonte de cet impôt, plus progressive, excluant les parties à taux fixe (CSG, CRDS), déduisant des revenus une somme forfaitaire nécessaire à une vie décente, et surtout supprimant les niches fiscales ou autre moyen d’« optimisation fiscale », est certainement bienvenue. ↩︎
À noter que, actuellement, moins de 1 % des ménages ont un revenu initial par unité de consommation supérieur à 10 000 € net mensuels. Source : INSEE, 2018. ↩︎
D’autant que les études montrent que le bonheur ressenti n’augmente plus vraiment au-delà d’un salaire de l’ordre de 6 000 € par mois. Source : Kahneman et Deaton, PNAS 2010. À titre de comparaison, on pourra également consulter les budgets de référence pour vivre décemment en France en 2022, s’élevant par exemple à moins de 2 000 € mensuels pour une personne seule. Source : CNLE, 2022. ↩︎
Une brève histoire de l’égalité, Thomas Piketty, Seuil, 2021. ↩︎
Lire à ce sujet Les Nouveaux Héritiers de Nicolas Frémeaux (Seuil, 2018). ↩︎
« La part de la fortune héritée dans le patrimoine total représente désormais 60 % contre 35 % au début des années 1970. » Source : Conseil d’analyse économique, 21/12/2021. ↩︎
Lire par exemple cet article d’Anne-Laure Delatte sur l’évitement par les plus riches de la fiscalité sur l’héritage. Le Monde, 04/02/2022. ↩︎
Chacun reçoit 120 000 euros à 25 ans pour un achat immobilier ou une création d’entreprise, cette mesure étant financée par une augmentation des tranches supérieures de taxation des héritages lors des successions. ↩︎
On pourra lire ce rapport du Secours catholique (2018), ainsi que La Machine à détruire, pourquoi il faut en finir avec la finance d’Aline Farès (Seuil, 2024). ↩︎
En replaçant notamment dans le champ des possibles l’hypothèse d’une restructuration (ou équivalent) de la dette publique, « risque » pour lequel l’État paie des intérêts aux investisseurs et qui devrait donc être une perspective naturelle. Un audit de la dette publique est essentiel pour cela. ↩︎
D’une certaine manière, la dette publique est, à l’encontre de ce que nous prônons, une façon de redistribuer des pauvres vers les riches, non seulement par le rendement du capital bien sûr mais aussi, actuellement, comme prétexte pour réduire les prestations ou services publics. Le livre Traité d’économie hérétique. En finir avec le discours dominant de Thomas Porcher (Fayard, 2018) en donne un bon aperçu. ↩︎