Agriculture, alimentation, santé

Le système agricole et agroalimentaire productiviste représente le quart de l’empreinte carbone des Français1 et 14 % de la pollution de l’air2. Il participe fortement au déclin de la biodiversité3 (-80 % d’insectes en 20 ans4 et -73 % de la taille moyenne des populations d’animaux sauvages entre 1970 et 20205). Les agriculteurs sont aussi confrontés, sans être préparés ni accompagnés, aux effets du changement climatique : sécheresse, pluie, gel… Les coûts sanitaires associés à l’alimentation seule s’élèveront à environ 50 milliards d’euros par an en 2030 selon la FAO6. Malgré un volume horaire moyen de travail de 55 h par semaine7, 16 % des agriculteurs se situent sous le seuil de pauvreté monétaire, une proportion plus élevée que la moyenne nationale (14 %)8. Le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 40 % entre 2000 et 20209. Il ne s’agit là que d’un aperçu des problèmes que doivent affronter le monde agricole et la société.

Ce système obsolète, issu du remembrement10 et de la révolution agricole qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, n’est pas soutenable et doit être changé en profondeur.

De nombreuses études11 montrent qu’il est aujourd’hui possible de produire et se nourrir de façon durable tout en renforçant notre souveraineté alimentaire. Elles adoptent toutes les grands principes suivants :

évolution du régime alimentaire avec moins de protéines animales et plus de protéines végétales, lutte contre la surconsommation et le gaspillage ;

évolution des systèmes et des pratiques agricoles (rotation, diversification et association des cultures, marginalisation de l’agriculture conventionnelle, augmentation des protéagineux au détriment des céréales…), généralisation de l’agro-écologie, réduction des cheptels pour s’adapter à la baisse de consommation de viande et de lait (et permettant une diminution de nos importations de soja) ;

préservation des sols, augmentation des surfaces forestières et des haies, maintien des prairies naturelles permanentes.

Ces scénarios aboutissent essentiellement à :

réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture ;

réduire de moitié les prélèvements d’eau pour l’irrigation des cultures d’été et, avec des productions plus diversifiées, réduire notre vulnérabilité au changement climatique ;

réduire de moitié la consommation d’énergie et mobiliser la biomasse agricole et forestière dans le respect du bon fonctionnement des écosystèmes ;

diviser par 3 les traitements phytosanitaires sur les cultures et par 2,5 la consommation d’azote minéral (engrais chimiques).

Les solutions sont donc connues. Reste leur mise en œuvre, qui soulève de fortes résistances.

Il faut des mesures fortes pour faire évoluer ce pan essentiel de notre société en dépit des résistances et du lobbying s’exerçant jusqu’aux plus hautes sphères décisionnelles.

Le premier volet concerne la réorganisation de l’agriculture sur le territoire.

L’institution de monnaies locales régionales incite à une relocalisation des productions au sein des différents territoires et à une répartition plus homogène en France. Les grandes exploitations perdent ainsi une partie de leur intérêt, diminuant leur impact sur l’environnement et renforçant la diversité des cultures. Cette réorganisation renforce également la résilience du système dans son ensemble, adaptation indispensable au changement climatique notamment.

Une taxation plus élevée de la viande dans la PPRS représente une incitation à moins consommer de viande, pour la santé et l’environnement, conformément aux scénarios évoqués ci-dessus.

La mutation de notre système agricole serait injuste pour nos agriculteurs tant qu’existent des accords de libre-échange avec des pays ne respectant pas les mêmes normes de production. L’abrogation de ces traités est indispensable pour envisager transformer notre filière agricole. De même, une révision complète de la Politique agricole commune (PAC) est nécessaire afin de changer le mode de fonctionnement priorisant les grandes surfaces agricoles plutôt que la qualité environnementale des parcelles. Cette révision ne pourra se faire sans l’appui des grands contributeurs européens, ce qui promet des négociations difficiles.

Le second volet concerne l’accompagnement des agriculteurs.

Une part de l’inertie du système est due à l’endettement massif des agriculteurs12, ainsi forcés de persévérer dans une agriculture de plus en plus intensive. Afin de sortir de cette spirale socialement et environnementalement mortifère, une des seules solutions semble être de racheter les emprunts des agriculteurs, en contrepartie d’une transition certifiée vers l’agro-écologie. Ces sommes remboursées aux banques devront elles aussi servir à financer des projets certifiés vertueux écologiquement et socialement. Nous parlons ici d’environ 45 milliards d’euros au total. Si la moitié des agriculteurs endettés font cette démarche en trois ans, le financement public nécessaire s’élève à 7,5 milliards d’euros par an sur trois ans.

Cette transition d’ampleur vers l’agro-écologie nécessite l’organisation d’un partage de bonnes pratiques au niveau local, d’un tutorat entre agriculteurs, et d’une formation continue gratuite ouverte à tout le secteur agricole. Ces mesures représentent quelques dizaines de millions d’euros par an.

Le revenu universel procuré par l’indemnité citoyenne (580 €/mois/personne) et la PPRS (750 €/mois/UC) garantit un salaire minimal à tout agriculteur, lui permettant de vivre décemment en sortant de la logique productiviste à outrance.

Si l’on privilégie les petites exploitations et la relocalisation sur tout le territoire, le nombre d’agriculteurs doit augmenter, ce qui nécessite une énorme vague de recrutement car environ la moitié d’entre eux partiront à la retraite dans la décennie qui vient13. Pour cela, il faut des aides à l’installation pour les jeunes et les nouveaux agriculteurs : achat et location de terres14, aides financières, etc. Si l’objectif est d’attirer 100 000 nouveaux agriculteurs par an avec des aides individuelles de 10 000 € par exemple, le coût de cette mesure s’élève à 1 milliard d’euros par an.

Ces aides à l’installation s’accompagneraient d’emplois aidés, éventuellement mutualisés entre plusieurs exploitations, par exemple en allégeant les cotisations sociales. Si l’on compte un emploi aidé à hauteur de 10 000 € pour deux exploitations, c’est un coût d’environ 2 milliards d’euros par an15. Par ailleurs, les 5 heures d’activités d’utilité publique effectuées par d’autres personnes dans les exploitations agricoles peuvent elles aussi venir soulager un peu le rythme de travail des agriculteurs.

Un autre poste coûteux et chronophage pour les agriculteurs est le matériel (achat et entretien des tracteurs et autres engins agricoles notamment), dont la possession obligatoire et le financement contraint à entrer dans une logique de croissance incompatible avec les aléas des récoltes et la transition vers une agriculture plus respectueuse. L’organisation de regroupements et partages de matériel commun au sein de collectivités d’agriculteurs pourrait ainsi être un levier de rationalisation, de solidarité et d’économies.

Le coût total élevé de ces mesures, d’environ 11 milliards d’euros par an les trois premières années (puis 3 milliards d’euros ensuite), ce qui représente davantage que les aides de la PAC par exemple (9 milliards d’euros par an16), se justifie par l’ampleur des enjeux liés à l’agriculture (santé et environnement notamment), d’une part, et par la nécessaire revalorisation d’une profession qui est la plus essentielle de toutes (littéralement vitale pour tous), d’autre part. Néanmoins, ces coûts n’en sont pas réellement, en regard des bénéfices attendus pour l’environnement et la santé. L’étude de la FAO17, mentionnée ci-dessus, chiffre à environ 2 €/jour en 2030 les économies réalisées en matière de santé pour chaque personne adoptant un régime flexitarien (moins de viande et de meilleure qualité).

Si le quart des Français, aidés en cela par la taxation différenciée de la PPRS, effectuent ce changement en cinq ans, cela représente à terme (au bout de 5 ans) 13 milliards d’euros d’économies chaque année. Ces seuls bénéfices sont donc déjà supérieurs aux coûts, sans parler de l’amélioration des conditions de travail et de santé des agriculteurs et des bienfaits pour l’environnement.


  1. Secteur de l’alimentation compris. Source : ADEME. ↩︎
  2. Source : Mines Paris, 2024. ↩︎
  3. « L’agriculture intensive est la première cause de déclin de la faune sauvage », LPO, Futura sciences 2005. ↩︎
  4. Source : Le Monde, 2025. ↩︎
  5. Source : WWF, 2024. ↩︎
  6. Source : Marco Springmann, Valuation of thehealth and climate-changebenefits of healthy diets, 2020. Coûts estimés en 2030 à environ 2 € par jour et par personne dans les pays riches. ↩︎
  7. Source : Nouvel Obs, 2024. ↩︎
  8. Source : INSEE, 2024. ↩︎
  9. Source : INSEE, 2024. ↩︎
  10. Lire à ce sujet Champs de bataille. L’Histoire enfouie du remembrement, Inès Léraud et Pierre Van Hove, Delcourt, 2024. ↩︎
  11. Solagro Afterres 2050 (2016), IDDRI (2018, scénario Ten years for agroecology), France Stratégie 2021, The Shift Project (2024), etc. ↩︎
  12. La France compte environ 340 000 ménages agricoles (c’est-à-dire comprenant au moins un agriculteur-exploitant, source INSEE, 2018), dont près de 70 % sont endettés d’une moyenne de 187 000 € (chiffres 2018, source INSEE), pour un endettement total de l’ordre de 45 milliards d’euros. ↩︎
  13. Source : INSEE, 2021. ↩︎
  14. Comme le fait l’association Terre de liens par exemple. ↩︎
  15. Il y avait 390 000 exploitations agricoles en 2020 (source INSEE). ↩︎
  16. Source : Vie publique, 2023. ↩︎
  17. Source : FAO (2020), économies estimées pour le système de santé des pays riches en 2030. ↩︎

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